Le ciel est maussade, drapé de blanc pâteux. Ce soir encore, je serai privé de lumière, de cette lumière magique du couchant, celle qui fait briller le regard des rêveurs et des photographes. Alors j’ai confié mon fessier à un méchant banc de bois aux pattes de basset et je sirote une bia hoi 1 en regardant passer le Vietnam, devant l’entrée du marché de Tam Duong.


Plusieurs étalages de viande de porc s’offrent aux passants. Les gros morceaux bien gras ont l’air essoufflés, luisant dans la chaleur lourde. Ils tremblotent encore un peu quand une main vient les soupeser d’un geste gourmand et connaisseur. A moins de deux mètres, un camion passe à vive allure, klaxon enfoncé, soulevant un nuage de poussière qui viendra coller au saindoux. Quand le morceau tend à disparaître sous la poudre grise, la vendeuse le racle au couteau afin de rendre un peu de rose juvénile au cochon fatigué.


Autour de moi, c’est un carrousel de vélos, de motos, de chiens pelés couverts de croûtes, de chats faméliques, de gamins pleins de morve et de joie de vivre. Des citadins endimanchés se mêlent aux minorités chamarrées et aux paysans déguenillés. C’est un défilé désordonné de chapeaux pointus, de turbans indigo, de casques de bo doï 2, de madras orange et bleu et de longs cheveux de jais.


Deux policiers font des rondes, suant dans leur tenue vert chiasse. L’un d’eux enfourche sa moto et passe devant moi. Une tête de porc accrochée sur son guidon est secouée par les cahots de la route comme par un fou rire irrésistible. Juste au-dessus, une tête de flic demeure imperturbable, la casquette vissée et le groin maussade.

1 Bia hoi : bière artisanale servie dans la rue pour une poignée de dongs.
2 Bo doi : soldat de l’armée populaire.