Nous sommes depuis quelques jours en Écosse et redécouvrons avec bonheur le vert des prairies et la fraîcheur des matins. Bivouaquer près d’un lac par une température de 2° est un délice que nous avions perdu !
Mais oublions un instant l’Écosse pour un retour quelques semaines plus tôt sur un voyage que nous avons effectué au Svalbard.
Un peu de géographie : l’archipel du Svalbard est situé dans l’Océan arctique, au nord-est du Groenland, à mi-chemin entre Cap Nord et Pôle Nord. Le Spitzberg est l’île principale du Svalbard et la seule habitée. 3 000 personnes y vivent, essentiellement dans la capitale Longyearbyen à la latitude de 77° Nord. L’archipel est sous souveraineté de la Norvège mais la Russie est aussi présente et exploite le charbon dans deux petites localités : Barentsburg et Pyramiden. Nous voyagerons à bord de l’Anakena, un yacht de 24 m spécialisé dans la navigation polaire. Éric est le skipper ; il est assisté d’Élisabeth et de Paul. Nous sommes six passagers.
1er juillet, nous quittons le quai de Longyearbyen. La banquise est remontée depuis quelques jours au-delà du 80° parallèle et de la pointe nord du Spitzberg. Nous naviguons vers l’ouest jusqu’à la sortie de l’Isfjord. Des glaciers coulent entre les reliefs et meurent dans le gris de l’océan. Nous virons au nord pour un premier mouillage dans la Baie du Roi. Qu’allons découvrir au cours de cette navigation ? Des paysages de montagnes sombres maquillées de neige, d’immenses glaciers qui s’émiettent en icebergs, le vert des mousses que le court été boréal fait naître au pied des falaises et la faune dont le maître des lieux : l’ours polaire !
Pendant deux semaines, le rythme de nos journées sera immuable : du mouillage dans une baie abritée, nous observons la rive à la jumelle : si un ours est visible nous restons à bord de l’Anakena. Pas d’ours ? Nous mettons à l’eau le zodiac et glissons vers le rivage. A bord, Paul et notre petit groupe. Le rôle de Paul est moins de nous guider à terre sur des itinéraires compliqués que d’assurer notre sécurité contre l’agression possible d’un ours. Si le phoque est, pour son apport en graisse, le mets privilégié de l’ours polaire, le renne, le morse et l’homme sont aussi des proies potentielles. Pas question de mettre pied à terre sans précaution et sans arme… Paul dispose d’un pistolet d’alarme pour éloigner l’ours trop curieux et d’un fusil pour l’abattre s’il se montre dangereux. La radio permet de communiquer avec Élisabeth et Éric qui, du pont de l’Anakena, surveillent à la jumelle notre progression. Consigne : rester groupés et observer en permanence notre environnement. Paul a abandonné sur l’Anakena son humour pour une vigilance inquiète à la mesure du danger qui nous guette. Nous marchons pendant trois ou quatre heures chaque jour mais les distances parcourues sont modestes tant le relief est chaotique et les éboulis de roches instables.
Nos balades ne croiseront pas le chemin de l’ours. Une chance car une rencontre aurait conduit au drame. Trois ans plus tôt, Claude la compagne d’Éric a dû abattre un ours pour protéger le groupe qu’elle guidait. Elle en garde un profond sentiment de culpabilité.
De l’Anakena, nous observerons longuement et à deux reprises une mère et deux jeunes à la recherche de nourriture puis nageant d’une île à l’autre. Spectacle magnifique de puissance et d’énergie sauvage… L’été est un moment difficile pour les ours du Svalbard : les phoques ont suivi la remontée de la banquise vers l’extrême nord et, en attendant leur retour, les ours se contentent de voler les œufs des sternes et fouillent le rivage à la recherche de la carcasse échouée d’une baleine. Nos observations des rennes, des morses, des renards polaires, des eiders à tête grise, des guillemots de Brünnich, des mergules nains seront plus fréquentes et sans danger.
Notre navigation atteindra la latitude de 80° nord. Nous serons à 1 000 km du Pôle Nord avant de reprendre, dans une mer bousculée, la direction de Longyearbyen.
Escapade dans le Grand Nord, émotions muettes devant la beauté écrasante des glaciers sinuant dans les vallées, se figeant en murailles aux reflets bleutés, se brisant dans en grondements sourds, semant au large leurs éclats d’icebergs… Sentiment oppressant de démesure et de solitude. Dans le froid et l’obscurité de l’hiver polaire, des hommes ont tenté de vivre ici de la chasse de la baleine et du morse, de l’exploitation du marbre et du charbon. Le Svalbard vit maintenant du tourisme polaire. Il abrite aussi la cité la plus septentrionale de la planète, Ny Alesund, où des scientifiques d’une trentaine de pays (Norvège, Italie, Grande Bretagne, France, États-Unis, Corée, Russie, Chine…) scrutent le ciel par temps clair pour en découvrir l’infinie profondeur et surveillent sans doute, pour le compte de leurs pays respectifs, les mouvements discrets d’engins glissant dans les sombres abysses de l’Océan arctique.
Retour en Écosse, retour dans le présent… Le mauve des bruyères remplace le jaune éclatant des ajoncs qui recouvrait les reliefs des Highlands lors de notre voyage au printemps passé. Les matins écossais ne résonnent plus des chants nuptiaux des oiseaux mais nous espérons dans les jours prochains quelques belles rencontres. Rendez-vous dans une prochaine lettre…
Annie et Pierre
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